L’objectif “Zéro mort” sur les routes d’ici 2050 de la Commission Transports de l’Union européenne a souhaité adopter un texte visant à renforcer les conditions d’obtention du permis de conduire pour les automobilistes. Cela comprenait la visite médicale obligatoire du permis tous les 15 ans. Cependant, l’opposition au texte du parlement européen s’est intensifiée sous l’impulsion des associations de défense des conducteurs.
Une pétition contre la mesure a rassemblé plus de 400 000 signatures, montrant une forte opposition de la part des citoyens. Les récentes tendances en matière de sécurité routière ont accentué cette réaction. En effet, elles visaient à assouplir les règles plutôt qu’à les renforcer, comme en témoignent la possibilité d’obtenir le permis à l’âge de 17 ans et l’abandon de la suppression des points pour les infractions de vitesse mineures.
La visite médicale pour le permis par Karima Delli
Les votes du parlement européen ont eu lieu ce 28 février 2024. La proposition de loi de Karima Delli, députée européenne, visant à rendre obligatoire une visite médicale tous les 15 ans pour les titulaires du permis de conduire a été rejetée (323 voix contre, 270 pour et 20 abstentions).
Cependant, les autorités ont adopté d’autres mesures pour harmoniser les règles européennes. Selon le communiqué de presse du parlement européen, les députés ont convenu que les conducteurs devront évaluer leurs propres aptitudes à conduire. Cela laisse aux États membres le choix entre maintenir l’auto-évaluation ou imposer un examen médical comprenant un ensemble minimal de contrôles (notamment sur la vue, l’ouïe et les réflexes).
En l’occurrence, en France, l’auto-évaluation sera exigée lors du renouvellement du permis tous les 15 ans ou lors de sa délivrance.
Les raisons du refus de la visite médicale pour le permis
Multiplicité des consultations médicales
Certaines voix parmi les députés ont pu remettre en question la proposition d’une visite médicale au permis tous les 15 ans, la considérant comme excessive. Certains ont pointé l’absence de preuves démontrant que des consultations médicales fréquentes réduirait de manière significative le nombre d’accidents de la route. Pour ces députés, cela serait une charge non nécessaire, imposée aux conducteurs.
Complexité VS Coûts
La mise en œuvre d’un système d’examen médical tous les 15 ans pour tous les titulaires du permis de conduire de l’Union européenne impliquerait des coûts significatifs pour les systèmes de santé nationaux, ainsi que pour les conducteurs eux-mêmes.
Cette proposition nécessite un investissement financier dans l’infrastructure médicale. Il faudrait mobiliser des ressources humaines et matérielles pour assurer la logistique et le suivi des examens. Cela ajouterait une pression financière supplémentaire sur les systèmes de santé nationaux déjà souvent sous tension.
Du point de vue des conducteurs, la mise en œuvre de cette mesure pourrait également représenter une charge financière considérable. Outre les frais directs liés à la passation de l’examen médical lui-même, les conducteurs pourraient également faire face à des coûts indirects (déplacements, dossiers etc.).
Défis logistiques
Garantir la disponibilité d’examens médicaux à intervalles réguliers dans l’ensemble de l’Union européenne aurait exigé une planification logistique considérable. Des préoccupations ont émergé quant à la capacité des systèmes de santé nationaux à répondre à la demande croissante d’examens médicaux. De plus, certains députés ont exprimé des inquiétudes quant aux possibles retards ou obstacles supplémentaires pour les conducteurs, en particulier dans les régions éloignées ou mal desservies.
D’autres mesures alternatives plus efficaces
Certains députés ont jugé qu’il existait des solutions plus efficaces pour améliorer la sécurité routière que l’introduction d’un examen médical obligatoire tous les 15 ans. Ils ont souligné qu’investir dans des infrastructures routières plus sûres, des programmes de sensibilisation ou de formation des conducteurs pourraient être plus efficaces pour prévenir les accidents. De plus, ils ont insisté sur le fait que renforcer les mesures dissuasives contre les comportements à risque, tels que la conduite sous l’emprise de l’alcool, seraient à privilégier avec l’instauration d’une visite médicale.
Manque de lien direct entre l’adoption de la visite médicale dans certains pays de l’UE et la baisse de la mortalité sur les routes.
Pays de l’UE | Visite médicale obligatoire | Décès / million d’habitants (2022) |
France | ❌ | 50 |
Allemagne | ❌ | 33 |
Pologne | ❌ | 50 |
Roumanie | ✅ tous les 10 ans | 86 |
Suède | ✅ tous les 10 ans jusqu’à 65 ans | 20 |
Pays-Bas | ✅ à partir de 75 ans | 37 |
Danemark, Finlande | ✅ à partir de 70 ans | 26, 35 |
Espagne, Grèce | ✅ à partir de 65 ans | 37, 61 |
Italie | ✅ à partir de 50 ans | 54 |
Portugal | ✅ à partir de 40 ans | 60 |
Union Européenne | / | 46 |
La Roumanie a donc adopté la visite médicale obligatoire tous les 10 ans, en 2003. Cependant, elle présente le bilan le plus inquiétant en Europe, avec 86 décès par million d’habitants. La Suède l’a elle aussi adoptée, et affiche pourtant les résultats les plus positifs, avec seulement 20 décès par million d’habitants.
La France fait partie des seuls pays, avec l’Allemagne et la Pologne, à octroyer des permis à vie. Et on voit bien que leurs chiffres de décès par millions d’habitants ne sont pas particulièrement élevés par rapport à la moyenne européenne.
À noter que ces chiffres sont une moyenne de tous les accidents de la route. Il est donc important de prendre en compte les divers facteurs causant ces accidents (alcoolémie, vitesse, Code de la route, intempéries…)
Les seniors : une menace accrue sur les routes
Tranche d’âge | % présumés responsables d’accidents mortels |
18-24 ans | 82% |
25-34 ans | 61% |
35-49 ans | 63% |
50-64 ans | 57% |
65-74 ans | 78% |
75 ans et plus | 79% |
Durant les 20 dernières années, les décès sur les routes ont considérablement baissé dans toutes les tranches d’âge, sauf chez les plus de 65 ans, où ils continuent à persister.
En France, entre 2010 et 2023, le nombre de décès sur les routes a diminué de 21%. Cependant, les données montrent une augmentation chez les 65-74 ans, dont le taux de mortalité sur les routes aurait augmenté de 43%. À noter que les 18-24 ans sont également responsables d’une grosse partie des accidents mortels.
En conclusion
La proposition d’une visite médicale obligatoire tous les 15 ans a été rejetée pour des questions de complexité, de coût et de logistique. Les États membres ont donc le choix entre maintenir l’auto-évaluation ou imposer un examen médical incluant un ensemble minimal de contrôles.
Pauline Déroulède, championne de France de tennis fauteuil et militante de la sécurité routière, a été victime d’un accident de la route en 2018, renversée par nonagénaire (90 ans). Selon elle, il est primordial d’instaurer une visite médicale pour que de futurs accidents de la route soient évités. “Aujourd’hui, on a le permis de conduire à vie, bien sûr, c’est un permis que l’on obtient, mais ce n’est pas un droit. (…) À partir du moment où ça devient un permis de tuer, malheureusement, c’est trop dangereux et ça paraît insensé, finalement, d’avoir ce permis de conduire à vie sans aucun contrôle médical”. Il n’est pas impossible que cette proposition de loi entre en vigueur d’ici quelques années, affaire à suivre !